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comme le refuge et comme l’excuse de la première. En envisageant la technique comme une grammaire, qui, sans doute, a vécu et vit encore, mais dont les règles ont acquis une sorte de fixité provisoire, de valeur unanimement consentie, on identifie les règles du langage commun avec la technique de l’écrivain, la pratique du métier avec la technique de l’artiste. L’autre erreur consiste à rejeter dans la région indéterminée des principes toute démarche créatrice superposée à cette grammaire, comme l’ancienne médecine expliquait les phénomènes biologiques par l’action du principe vital. Mais si, cessant de séparer ce qui est uni, nous essayons simplement de classer et d’enchaîner des phénomènes, nous voyons que la technique est véritablement faite d’accroissements et de destructions et qu’il est possible, à égale distance de la syntaxe et de la métaphysique, de l’assimiler à une physiologie.

Il est vrai que nous employons nous-mêmes dans deux sens le terme qui nous occupe : les techniques ne sont pas la technique, mais le premier sens a exercé sur le second une influence restrictive. On pourrait s’accorder sur ce point que, dans l’œuvre d’art, ils représentent deux aspects inégaux, mais unis, de l’activité : l’ensemble des recettes d’un métier et, d’autre part, la façon dont elles font vivre les formes dans la matière. Ce serait concilier passivité et liberté. Mais ce n’est pas assez, et, si la technique est un processus, nous devons, en examinant l’œuvre d’art, franchir la limite des techniques de métier et remonter toute l’ampleur de la généalogie. C’est là l’intérêt fondamental (supérieur à l’intérêt proprement historique) que présente l’ « histoire » de l’œuvre avant l’exécution définitive, l’analyse des premières pensées, des esquisses, des croquis antérieurs à la statue ou au tableau. Ces impatientes métamorphoses et les études attentives qui les accompagnent développent l’œuvre sous nos yeux, comme l’exécution du pianiste développe la sonate, et il nous importe beaucoup de les voir encore agir et bouger dans l’œuvre