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la forme, passant d’une matière donnée à une autre matière, subit une métamorphose. Dès à présent, on conçoit sans peine l’importance de cette remarque pour l’étude historique de l’influence de certaines techniques sur certaines autres, et nous nous en sommes inspiré, en essayant d’instituer une critique de la notion massive d’influence, à propos des rapports de la sculpture monumentale et des arts précieux à l’époque romane. L’ivoire ou la miniature, copiés par un décorateur de murailles, entrent dans un autre univers, dont il faut bien qu’ils acceptent la loi. Les tentatives faites par la mosaïque et par la tapisserie pour rejoindre les effets de la peinture à l’huile ont eu les conséquences que l’on sait. Et, d’autre part, les maîtres de la gravure d’interprétation ont bien compris qu’ils n’avaient pas à « rivaliser » avec les tableaux, leurs modèles (pas plus que les peintres avec la nature), mais à les transposer. Ces idées sont d’ailleurs susceptibles de plus d’extension. Elles nous aident à définir l’œuvre d’art comme unique, car, l’équilibre et les propriétés des matières de l’art n’étant pas constants, il ne saurait y avoir de copie absolue, même dans une matière donnée, même au point le plus stable de la définition d’un style.

Il convient d’y insister encore, si l’on veut bien comprendre, non seulement comment la forme est, en quelque sorte, incarnée, mais qu’elle est toujours incarnation. L’esprit ne saurait l’admettre du premier coup, car, meublé du souvenir des formes, il tend à les confondre avec ce souvenir même, à penser qu’elles habitent une immatérielle région de l’imagination ou de la mémoire, où elles sont aussi complètes, aussi définies que sur une place publique ou dans une galerie de musée. Comment ces mesures qui semblent vivre tout en nous, l’interprétation de l’espace, le rapport des parties dans les proportions humaines et dans le jeu des mouvements, pourraient-elles être modifiées selon les matières et dépendre d’elles ? On se rappelle le mot de Flaubert sur le Parthénon, « noir comme l’ébène ». Peut-être