Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.

bore, mais elle continue à se métamorphoser. Tantôt la peinture à l’huile nous offre le spectacle de sa continuité transparente, elle saisit les formes, dures et limpides, dans son cristal doré ; tantôt elle les nourrit d’une grasse épaisseur, elles semblent rouler et glisser dans un élément mobile ; tantôt elle est rêche comme un mur, et tantôt vibrante comme un son. Même si nous ne faisons pas intervenir la couleur, nous voyons bien que la matière varie dans sa composition et dans le rapport évident de ses parties. Et si nous évoquons la couleur, il est clair que le même rouge, par exemple, acquiert des propriétés différentes, non seulement selon qu’il est traité à la détrempe, à l’œuf, à la fresque, à l’huile, mais, chacun de ces procédés, selon la manière dont il est posé.

Ceci annonce d’autres observations, mais, avant d’y venir, il reste plusieurs points à élucider. On pensera peut-être qu’il est certaines techniques où la matière est indifférente, que le dessin, par exemple, la soumet à la rigueur d’un pur procédé d’abstraction et que, la réduisant à l’armature du support le plus mince, il la volatilise presque. Mais cet état volatil de la matière est matière encore et, de se trouver ainsi ménagée, resserrée et divisée sur le papier, qu’elle fait jouer, elle acquiert une force particulière. De plus sa variété est extrême : encre, lavis, mine de plomb, pierre noire, sanguine, craie, séparés ou unis, autant de propriétés définies, autant de langages. Pour s’en convaincre, que l’on essaie de se représenter cette impossibilité : une sanguine de Watteau, par exemple, copiée par Ingres à la mine de plomb, ou, plus simplement, car les noms de maîtres font intervenir des valeurs dont nous ne nous sommes pas encore occupés, un fusain copié au lavis : il acquiert des propriétés complètement inattendues, il devient œuvre nouvelle. Nous pouvons en déduire une règle plus générale, qui se rattache au principe de la destinée ou de la vocation formelles, énoncé plus haut : c’est que les matières de l’art ne sont pas interchangeables, c’est-à-dire que