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reprendre une expression apparemment contradictoire, que les précédents chapitres permettent de comprendre, parce qu’elles les libèrent selon leur loi. Mais il convient de remarquer sans plus attendre que cette vocation formelle n’est pas un déterminisme aveugle, car — et c’est là le second point — ces matières si bien caractérisées, si suggestives et même si exigeantes à l’égard des formes de l’art, sur lesquelles elles exercent une sorte d’attrait, s’en trouvent, par un retour, profondément modifiées.

Ainsi s’établit un divorce entre les matières de l’art et les matières de la nature, même unies entre elles par une rigoureuse convenance formelle. On voit s’instituer un ordre nouveau. Ce sont deux règnes, même si l’on ne fait pas intervenir les artifices et la fabrique. Le bois de la statue n’est plus le bois de l’arbre ; le marbre sculpté n’est plus le marbre de la carrière ; l’or fondu, martelé, est un métal inédit ; la brique, cuite et bâtie, est sans rapport avec l’argile de la glaisière. La couleur, le grain et toutes les valeurs qui affectent le tact optique ont changé. Les choses sans surface, cachées derrière l’écorce, enterrées dans la montagne, bloquées dans la pépite, englouties dans la boue, se sont séparées du chaos, ont acquis un épiderme, adhéré à l’espace et accueilli une lumière qui les travaille à son tour. Encore que le traitement subi n’ait pas modifié l’équilibre et le rapport naturel des parties, la vie apparente de la matière s’est métamorphosée. Parfois, chez certains peuples, les relations entre les matières de l’art et les matières de la structure ont été l’objet de spéculations étranges. Les maîtres de l’Extrême-Orient, pour qui l’espace est essentiellement le lieu des métamorphoses et des migrations et qui ont toujours considéré la matière comme le carrefour d’un grand nombre de passages, ont aimé, entre toutes les matières de la nature, celles qui sont, si l’on peut dire, le plus intentionnelles et qui semblent élaborées par un art obscur ; et, d’autre part, ils se sont souvent appliqués, en traitant les matières de l’art, à leur imprimer les caractères de la nature, au