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LES FORMES DANS LA MATIÈRE

La forme n’est qu’une vue de l’esprit, une spéculation sur l’étendue réduite à l’intelligibilité géométrique, tant qu’elle ne vit pas dans la matière. Comme l’espace de la vie, l’espace de l’art n’est pas sa propre figure schématique, son abréviation justement calculée. Bien que ce soit une illusion assez communément répandue, l’art n’est pas seulement une géométrie fantastique, ou plutôt une topologie plus complexe, il est lié au poids, à la densité, à la lumière, à la couleur. L’art le plus ascétique, celui qui vise à atteindre, avec des moyens pauvres et purs, les régions les plus désintéressées de la pensée et du sentiment, n’est pas seulement porté par la matière à laquelle il fait vœu d’échapper, mais nourri d’elle. Sans elle, non seulement il ne serait pas, mais encore il ne serait pas tel qu’il souhaite d’être, et son vain renoncement atteste encore la grandeur et la puissance de sa servitude. Les vieilles antinomies, esprit-matière, matière-forme, nous obsèdent encore avec autant d’empire que l’antique dualisme de la forme et du fond. Même s’il reste encore quelque ombre de signification ou de commodité à ces antithèses en logique pure, qui veut comprendre quoi que ce soit à la vie des formes doit commencer par s’en libérer. Toute science d’observation, surtout celle qui s’attache aux mouvements et aux créations de l’esprit humain, est essentiellement une phénoménologie, au sens étroit du mot. Ainsi nous avons chance de saisir d’authentiques valeurs spirituelles. L’étude de la face de la terre et de la genèse du relief, la morphogénie, donne un socle puissant à toute poétique du paysage, mais ne se propose pas cet objet.