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derrière les autres, et l’éloignement, en les diminuant de plus en plus, tend à les annuler aussi. Sous l’horizon haussé, l’espace se déroule comme un tapis, et la figure de la terre est pareille au versant d’un mont. L’influence siennoise propageait le système dans l’Italie septentrionale, où d’ailleurs, à la même époque, Altichiero, par de tout autres voies, cherchait à suggérer le creux arrondi de l’espace par le rythme giratoire de ses compositions. Mais à Florence la collaboration des géomètres, des architectes et des peintres inventait, ou plutôt mettait au point, la machine à réduire les trois dimensions aux données d’un plan, en calculant leurs rapports avec la précision des mathématiques.

On ne saurait, dans un simple exposé de méthode, retracer la genèse et les premières démarches de cette nouveauté considérable, mais, ce qu’il importe de dire, c’est que, malgré l’apparente rigueur des règles, elle restait dès ses débuts un champ ouvert à bien des possibles. Théoriquement, l’art en face de l’objet, c’est-à-dire de la forme vraie dans l’espace vrai, agit désormais comme la vue en face du même objet et selon le système de la pyramide visuelle exposé par Alberti, et l’œuvre du Créateur étant saisie dans sa plénitude, sa justesse et sa diversité, grâce à la collusion méthodique du volume et du plan, l’artiste est bien, selon la pensée des contemporains, l’homme le plus semblable à Dieu, ou, si l’on veut, un dieu secondaire, imitateur. Le monde qu’il enfante est un édifice, vu d’un certain point, habité par des statues au profil unique : ainsi, du moins, peut se symboliser la part de l’architecte et du statuaire dans le nouvel art de peindre. Mais la perspective de la vraisemblance reste heureusement baignée du souvenir des perspectives imaginaires. La forme de l’homme et des êtres vivants, conduite sous cet angle, captive les maîtres : c’est qu’elle suffit à définir tout l’espace, par le rapport des ombres et des clairs, par l’exactitude des mouvements, surtout par la justesse des raccourcis, que ces artistes ne se sont pas lassés d’étudier d’après les chevaux ; mais les paysages