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tête éveillée, pâle et pointue, n’est pas un couvre-chef quelconque. Dans le soir infini, suspendu au-dessus du temps, où le chancelier Rollin est en prière, les fleurs brochées de son manteau contribuent à créer la magie du lieu et de l’instant.

Ces observations sur la permanence de certaines valeurs formelles ne nous livrent qu’un aspect d’un développement très complexe. Avant de se soumettre aux lois de la vue même, c’est-à-dire de traiter l’image du tableau comme l’image rétinienne, en combinant sur un plan une illusion des trois dimensions, l’espace et la forme en peinture ont passé par des états divers. Les rapports du relief de la forme et de la profondeur de l’espace n’ont pas été définis théoriquement d’un seul coup, mais cherchés à travers des expériences successives et d’importantes variations. Les figures de Giotto, ces beaux blocs simples, prennent place dans un milieu limité, analogue à l’atelier d’un statuaire ou, mieux encore, à la scène d’un théâtre. Une toile de fond, des portants, sur lesquels sont indiqués, moins comme des éléments vrais que comme des suggestions fortes, des pans d’architecture ou de paysage, arrêtent la vue d’une façon catégorique et ne permettent pas à la muraille de chanceler sous des trouées d’espace. Il est vrai que, parfois, cette conception semble faire place à un autre parti, qui peut traduire un besoin de possession du milieu, à la chapelle des Bardi par exemple, dans la scène de la Renonciation de saint François, où le socle du temple romain se présente par l’angle, offrant ainsi une ligne de fuite de part et d’autre de l’arête et paraissant lancer la masse en avant et l’enfoncer dans notre espace : mais n’est-ce pas surtout un procédé de composition, pour départager avec rigueur les personnages des deux côtés d’une perpendiculaire ? Quoi qu’il en soit, dans ce volume transparent aux exactes limites, les formes, malgré les gestes, sont isolées les unes des autres et de leur milieu même comme dans le vide. On dirait qu’elles subissent une épreuve, destinée à les détacher de toute correspondance équi-