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creux, alors que la forme commence à se nourrir de reliefs légers. Les exemples du phénomène inverse ne manquent pas dans l’art italien de la Renaissance. L’œuvre de Botticelli nous en offre de très frappants. Il connaît et pratique, parfois en virtuose, tous les artifices qui permettent de construire avec vraisemblance l’espace linéaire et l’espace aérien, mais les êtres qui se meuvent dans cet espace même ne sont pas tout à fait définis par lui. Ils conservent une ligne ornementale sinueuse, qui n’est pas, certes, celle d’un ornement donné, classé dans un répertoire, mais celle que peut dessiner l’ondulation d’un danseur, qui se travaille à dessein, jusque dans l’équilibre physiologique de son corps, pour en composer des figures. Ce privilège demeure acquis pour longtemps à l’art italien.

Il se passe quelque chose d’analogue dans la fantasmagorie de la mode. Il arrive qu’elle cherche à respecter et même à mettre en évidence les proportions de la nature ; le plus souvent elle soumet la forme à d’étonnantes transmutations : elle crée, elle aussi, des hybrides, elle impose à l’être humain le profil de la bête ou de la fleur. Le corps n’est que le prétexte, le support et parfois la matière de combinaisons gratuites. La mode invente ainsi une humanité artificielle qui n’est pas le décor passif du milieu formel, mais ce milieu même. Cette humanité tour à tour héraldique, théâtrale, féerique, architecturale, a bien moins pour règle une convenance rationnelle que la poétique de l’ornement, et ce qu’elle appelle ligne ou style n’est peut-être qu’un subtil compromis entre un certain canon physiologique, d’ailleurs très variable, comme les canons successifs de l’art grec, et la fantaisie des figures. Ces divers agencements ont toujours enchanté une certaine sorte de peintres, volontiers costumiers, et ceux qui restaient peu sensibles à ces métamorphoses, dans la mesure où elles engagent tout le corps, l’étaient extrêmement au décor des tissus. Ce qui est vrai pour Botticelli ne l’est pas moins pour Van Eyck. L’énorme chapeau d’Arnolfini, au-dessus de sa petite