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ce domaine, avec la même liberté à l’égard de l’objet, selon les mêmes lois par rapport à eux-mêmes.

Mais s’il est vrai que ces termes sont étroitement et activement unis dans l’état exemplaire et classique de tout style ornemental possible, il est des cas où l’espace reste ornement alors que l’objet qui y prend place, le corps de l’homme par exemple, s’en dégage et tend à se suffire, et, de même, d’autres cas où la forme de l’objet garde une valeur d’ornement alors que l’espace autour de lui tend à une structure rationnelle. On voit paraître la dangereuse notion de fond en peinture : la nature, l’espace cessent d’être un au-delà de l’homme, une périphérie qui le prolonge et l’investit à la fois, pour devenir un domaine séparé contre lequel il se meut. À cet égard, la peinture romane est intermédiaire. Des bandes colorées, des teintes plates, des semis, des nappes pendues à des portiques annulent les fonds ; les figures y prennent place sans contresens, elles ne s’en isolent point, car si elles ne sont pas rigoureusement ornementales, n’étant pas pressées par des cadres architecturaux bien définis, elles sont encore et avant tout chiffre et arabesque. On ne saurait évidemment qualifier de la même manière, malgré l’élégance de leur profil, les figurines des psautiers parisiens du xiiie siècle, elles ne viennent pas d’un monde impossible, elles sont aptes à la vie terrestre, dont leurs membres bien en place, leurs justes proportions respectent les exigences : mais, le plus souvent, isolées dans un cadre d’architecture décorative, elles se détachent (c’est le cas de le dire) sur des fonds étoilés d’un semis ou diaprés de rinceaux. Malgré la différence de manière, on peut faire une remarque du même genre à propos de Jean Pucelle et de ses jardinets imaginaires, où se reconnaissent des éléments de ce monde et des figures d’une singulière vivacité nerveuse, mais découpés comme un grillage de fer forgé et suspendus à une hampe au-dessus du vide des marges. L’espace du manuscrit décoré, comme la muraille peinte, résiste encore à la fiction du