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se perd dans des régions souterraines pour reparaître au jour, les rubans dont sont faites ces figures instables passent les uns sous les autres et que leur forme évidente sur le plan de l’image ne s’explique que par une activité secrète sur un plan au-dessous. Cette perspective de l’abstrait est remarquable, nous l’avons dit, dans la miniature irlandaise. Elle ne réside pas tout entière dans des jeux d’entrelacs. Parfois des combinaisons de damiers ou de polyèdres irréguliers, alternés de clair et de foncé, semblables à des vues isométriques de cités détruites, à des plans de villes impossibles, nous donnent, sans faire le moindre usage des ombres, l’illusion, à la fois obsédante et fugitive, d’un chatoyant relief, et de même des méandres cloisonnés de replis sombres ou clairs. La peinture murale romane, notamment dans nos provinces de l’Ouest, a retenu quelques-uns de ces procédés dans la composition des bordures, et s’il apparaît plus rarement qu’elle en fasse état dans les figures proprement dites, du moins les grands compartiments monochromes dont elles sont faites ne juxtaposent jamais deux valeurs égales, mais interposent une valeur différente. Est-ce par pur besoin d’harmonie optique ? Il nous semble que cette règle, suivie avec une certaine constance, se rattache à la structure de l’espace ornemental dont nous esquissions plus haut la singulière perspective. Le monde des figures peintes sur les murailles ne saurait admettre l’illusion des saillies et des creux, pas plus que les nécessités de l’équilibre n’y autorisent un excès de percées, mais des différences purement tonales, respectant le plein des murs, suggèrent un rapport des parties que l’on pourrait appeler modelé plat, pour traduire par une contradiction dans les termes la contradiction optique qui en est l’étrange résultat. Ainsi se trouve confirmée une fois de plus l’idée que l’ornement n’est pas un graphisme abstrait évoluant dans un espace quelconque, mais que la forme ornementale crée ses modes de l’espace, ou plutôt, car ces notions sont inséparablement liées, qu’espace et forme s’engendrent réciproquement dans