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l’horizon des formes naturelles, auxquelles leur conformité ou leur accord les mieux calculés ajoutent toujours quelque chose d’inattendu. Mais, si l’on veut bien y réfléchir, la merveille la plus singulière, c’est en quelque sorte d’avoir conçu et créé un envers de l’espace. L’homme chemine et agit à l’extérieur de toute chose ; il est perpétuellement en dehors et, pour pénétrer au-delà des surfaces, il faut qu’il les brise. Le privilège unique de l’architecture entre tous les arts, qu’elle établisse des demeures, des églises ou des vaisseaux, ce n’est pas d’abriter un vide commode et de l’entourer de garanties, mais de construire un monde intérieur qui se mesure l’espace et la lumière selon les lois d’une géométrie, d’une mécanique et d’une optique qui sont nécessairement impliquées dans l’ordre naturel, mais dont la nature ne fait rien.

En s’appuyant sur le niveau des bases et sur les dimensions des portails, Viollet-le-Duc montre que les plus vastes cathédrales sont toujours à l’échelle de l’homme. Mais le rapport de cette échelle à des dimensions immenses nous impose du même coup et le sentiment de notre mesure, mesure même de la nature, et l’évidence d’une énormité vertigineuse qui l’excède de toutes parts. Rien ne commandait l’étonnante hauteur de ces nefs, sinon l’activité de la vie des formes, le pressant théorème d’une structure articulée et le besoin de créer un espace neuf. La lumière y est traitée, non comme une donnée inerte, mais comme un élément de vie, susceptible d’entrer dans le cycle des métamorphoses et de les seconder. Elle n’éclaire pas seulement la masse intérieure, elle collabore avec l’architecture pour lui donner sa forme. Elle est forme elle-même, puisque ces faisceaux, jaillis de points déterminés, sont comprimés, amincis et tendus, pour venir frapper les membres de la structure, plus ou moins unis, soulignés ou non de filets, en vue de l’apaiser ou de la faire jouer. Elle est forme, puisqu’elle n’est accueillie dans les nefs qu’après avoir été dessinée par le réseau des verrières et colorée par elles.