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des métamorphoses, fait place le système du labyrinthe, qui procède par synthèses mobiles, dans un espace chatoyant. À l’intérieur du labyrinthe, où la vue chemine sans se reconnaître, rigoureusement égarée par un caprice linéaire qui se dérobe pour rejoindre un but secret, s’élabore une dimension nouvelle qui n’est ni le mouvement ni la profondeur et qui nous en procure l’illusion. Dans les évangéliaires celtiques, l’ornement qui sans cesse se superpose et se fond, bien que maintenu dans les cloisons des lettres et des panneaux, paraît se déplacer sur des plans divers, à des vitesses différentes.

On voit que, dans l’étude de l’ornement, ces données essentielles n’importent pas moins que la morphologie pure et la généalogie. Peut-être l’aperçu que nous en donnons risquerait-il de sembler systématique et abstrait, s’il n’était désormais démontré que cet étrange règne ornemental, lieu d’élection des métamorphoses, a suscité toute une végétation et toute une faune d’hybrides soumis aux lois d’un monde qui n’est pas le nôtre. Sa permanence, sa virulence sont remarquables, puisque, faisant accueil dans ses replis à l’homme et aux animaux, il ne leur cède en rien, mais se les incorpore. Des figures nouvelles se composent sans fin sur l’identité des thèmes. Enfantées par les mouvements d’un espace imaginaire, elles seraient absurdes dans les régions ordinaires de la vie, et condamnées à périr. Mais cette faune des labyrinthes formels croît et multiplie avec d’autant plus d’ardeur qu’elle est plus étroitement assujettie à leur servitude. Ces hybrides n’habitent pas seulement les réseaux synthétiques vigoureusement serrés par les arts de l’Asie et par l’art roman. On les retrouve dans les cultures méditerranéennes, en Grèce, à Rome, où ils apparaissent comme des dépôts de civilisations plus anciennes. Pour ne parler que des grotesques, remis en vogue par les hommes de la Renaissance, il est évident que ces charmants végétaux humains, transplantés dans un espace largement mesuré et comme rendus à l’air libre,