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peut-être le premier alphabet de la pensée humaine aux prises avec l’espace. Encore est-il doué d’une vie bien particulière et parfois même modifié dans son essence, selon qu’il est pierre, bois, bronze ou trait de pinceau. Mais enfin il reste un lieu de spéculation très étendue et comme un observatoire d’où il est possible de saisir certains aspects élémentaires, généraux, de la vie des formes dans leur espace. Avant même d’être rythme et combinaison, le plus simple thème d’ornement, la flexion d’une courbe, un rinceau, qui implique tout un avenir de symétries, d’alternances, de dédoublements, de replis, chiffre déjà le vide où il paraît et lui confère une existence inédite. Réduit à un mince trait sinueux, il est déjà une frontière et un chemin. Il arrondit, il effile, il départage le champ aride où il s’inscrit. Non seulement il existe en soi, mais il configure son milieu, auquel cette forme donne une forme. Si nous la suivons dans ses métamorphoses et si nous ne nous contentons pas de considérer ses axes, son armature, mais tout ce qu’elle étreint dans cette espèce de grille, nous avons sous les yeux une variété infinie de blocs d’espace qui constituent un univers morcelé, intercalaire. Tantôt le fond reste largement visible, et l’ornement s’y répartit avec régularité en rangées, en quinconces ; tantôt le thème ornemental foisonne avec prolixité et dévore le plan qui lui sert de support. Le respect ou l’annulation du vide crée deux ordres des figures. Il semble que l’espace largement ménagé autour des formes les maintienne intactes et soit garant de leur fixité. Dans le second cas, elles tendent à épouser leurs courbes respectives, à se rejoindre, à se mêler. De la régularité logique des correspondances et des contacts, elles passent à cette continuité onduleuse, où le rapport des parties cesse d’être discernable, où le commencement et la fin sont soigneusement cachés. Au système de la série composée d’éléments discontinus, nettement analysés, fortement rythmés, définissant un espace stable et symétrique qui les protège contre l’imprévu