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Les formes ne sont pas leur propre schéma, leur représentation dépouillée. Leur vie s’exerce dans un espace qui n’est pas le cadre abstrait de la géométrie ; elle prend corps dans la matière, par les outils, aux mains des hommes. C’est là qu’elles existent, et non ailleurs, c’est-à-dire dans un monde puissamment concret, puissamment divers. La même forme conserve sa mesure, mais change de qualité selon la matière, l’outil et la main. Elle n’est pas le même texte tiré sur des papiers différents, car le papier n’est que le support du texte : dans un dessin, il est élément de vie, il est au cœur. Une forme sans son support n’est pas forme, et le support est forme lui-même. Il est donc nécessaire de faire intervenir l’immense variété des techniques dans la généalogie de l’œuvre d’art et de montrer que le principe de toute technique n’est pas inertie, mais action.

D’autre part, il faut envisager l’homme même, qui n’est pas moins divers. La source de cette diversité ne réside pas dans l’accord ou le désaccord de la race, du milieu et du moment, mais dans une autre région de la vie, qui comporte peut-être elle aussi des affinités et des accords plus subtils que ceux qui président aux groupements généraux dans l’histoire. Il existe une sorte d’ethnographie spirituelle qui s’entrecroise à travers les « races » les mieux définies, des familles d’esprits unies par des liens secrets et qui se retrouvent avec constance par delà les temps, par delà les lieux. Peut-être chaque style et chaque état d’un style, peut-être chaque technique requièrent-ils de préférence telle nature d’homme, telle famille spirituelle. En tout cas, c’est dans le rapport de ces trois valeurs que nous pouvons saisir à la fois l’œuvre d’art comme unique et comme élément d’une linguistique universelle.