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tiennes. Mais le propre d’un milieu n’est-il pas d’enfanter ses mythes, de conformer le passé à la mesure de ses besoins ? Le milieu formel crée ses mythes historiques, qui ne sont pas modelés seulement par l’état des connaissances et par les besoins spirituels, mais par les exigences de la forme. Nous voyons par exemple onduler à travers le temps une succession de fables imagées de l’antiquité méditerranéenne. Selon qu’elle s’incorpore à l’art roman, à l’art gothique, à l’art humaniste, à l’art baroque, à l’art davidien, à l’art romantique, elle change de figure, elle se plie à d’autres cadres, elle s’infléchit selon d’autres courbes et, dans l’esprit des hommes qui assistent à ses métamorphoses, elle propage les images les plus différentes et même les plus opposées. Elle intervient dans la vie des formes, non comme une donnée irréductible, non comme un apport étranger, mais comme une matière plastique et docile.

Mais ne semble-t-il pas qu’en soulignant avec tant de rigueur les divers principes qui régissent la vie des formes et qui retentissent sur la nature, sur l’homme et sur l’histoire, au point de constituer un univers et une humanité, nous soyons amenés à établir un déterminisme pesant ? Ne détachons-nous pas l’œuvre d’art de la vie humaine pour la faire entrer dans un aveugle automatisme, n’est-elle pas désormais prisonnière de la série et comme définie d’avance ? Il n’en est rien. L’état d’un style ou, si l’on veut, un moment de la vie des formes est à la fois garant et promoteur de la diversité. C’est dans l’état de sécurité d’une haute définition intellectuelle que l’esprit est vraiment libre. La puissance de l’ordre formel autorise seule l’aisance de la création, son caractère spontané. La plus grande multiplicité des expériences et des variations est fonction de la rigueur des cadres, tandis que l’état de liberté indéterminée conduit fatalement à l’imitation. Quand bien même ces principes seraient contestés, deux observations nous font sentir l’activité et comme le jeu de l’unique dans des ensembles si bien liés.