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siècles que le classicisme n’est le privilège de la culture méditerranéenne. C’est un moment de la vie des formes, et sans doute le plus libéré. Elles ont oublié ou dénaturé ce principe de la convenance intime dont l’accord avec les cadres, et particulièrement avec ceux de l’architecture, est un aspect essentiel ; elles vivent pour elles-mêmes avec intensité, elles se répandent sans frein, elles prolifèrent comme un monstre végétal. Elles se détachent en s’accroissant, elles tendent de toutes parts à envahir l’espace, à le perforer, à en épouser tous les possibles, et l’on dirait qu’elles se délectent de cette possession. Elles y sont aidées par l’obsession de l’objet et par une sorte de fureur de « similisme ». Mais les expériences auxquelles les entraîne une force secrète dépassent sans cesse leur objet. Ces caractères sont remarquables et même saisissants dans l’art ornemental. Jamais la forme abstraite n’a, je ne dis pas une plus forte, mais une plus évidente valeur mimique. C’est aussi que jamais la confusion entre forme et signe n’est plus impérieuse. La forme ne se signifie plus seulement, elle signifie un contenu volontaire, on la torture pour l’adapter à un « sens ». C’est alors qu’on voit s’exercer le primat de la peinture, ou plutôt tous les arts mettent leurs ressources en commun, franchissent les frontières qui les séparaient et s’empruntent leurs effets. En même temps, par une inversion curieuse et sous l’empire d’une nostalgie qui a sa source dans les formes elles-mêmes, l’intérêt pour le passé se réveille et l’art baroque se cherche dans les régions les plus anciennes une émulation, des exemples, des appuis. Mais ce que le baroque demande à l’histoire, c’est le passé du baroque. De même qu’Euripide ou Sénèque le Tragique, et non Eschyle, inspirent les poètes français du xviie siècle, ce que le baroque romantique a chéri dans l’art du Moyen Âge, c’est l’art flamboyant, cette forme baroque du gothique. On n’entend pas assimiler sur tous les points art baroque et romantisme, mais si, en France, ces deux « états »