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des apparences inédites, comme pour nous abuser et pour s’abuser lui-même sur sa captivité. Il est rinceau recourbé, aigle à deux têtes, sirène marine, combat de deux guerriers. Il se dédouble, s’enlace autour de lui-même, se dévore. Sans excéder jamais ses limites, sans jamais mentir à son principe, ce Protée agite et déploie sa vie frénétique, qui n’est que le remous et l’ondulation d’une forme simple.

On objectera que la forme abstraite et la forme fantastique, si elles sont astreintes à des nécessités fondamentales et comme captives en elles, sont du moins libres à l’égard des modèles de la nature, et qu’il n’en va pas de même pour l’œuvre d’art qui en respecte l’image. Mais les modèles de la nature peuvent être considérés, eux aussi, comme la tige et comme le support des métamorphoses. Le corps de l’homme et le corps de la femme peuvent rester à peu près constants, mais les chiffres susceptibles d’être écrits avec des corps d’hommes et de femmes sont d’une variété inépuisable, et cette variété travaille, agite, inspire les œuvres les mieux concertées et les plus sereines. Nous n’en chercherons pas des exemples dans les pages de la Mangwa que Hoksaï emplit de ses croquis d’acrobates, mais dans les compositions de Raphaël. Quand la Daphné de la fable est transformée en laurier, il faut qu’elle passe d’un règne dans un autre. Une métamorphose plus subtile et non moins singulière, respectant le corps d’une belle jeune femme, nous mène de la Vierge de la Maison d’Orléans à la Vierge à la chaise, ce merveilleux coquillage, d’une volute si pure et si bien roulée. Mais c’est dans les compositions où se nouent d’amples guirlandes humaines que nous saisissons le mieux le génie des variations harmoniques qui ne cesse de combiner et de combiner encore des figures où la vie des formes n’a d’autre but qu’elle-même et son renouvellement. Les calculateurs de l’École d’Athènes, les soldats du Massacre des innocents, les pêcheurs de la Pêche miraculeuse, Imperia assise aux pieds d’Apollon, agenouillée devant le Christ,