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bronze, fixée sous le vernis, gravée dans le cuivre ou dans le bois, l’œuvre d’art n’est qu’apparemment immobile. Elle exprime un vœu de fixité, elle est un arrêt, mais comme un moment dans le passé. En réalité elle naît d’un changement et elle en prépare un autre. Dans la même figure, il y en a beaucoup, comme dans ces dessins où les maîtres, cherchant la justesse ou la beauté d’un mouvement, superposent plusieurs bras, attachés à la même épaule. Les croquis de Rembrandt fourmillent dans la peinture de Rembrandt. L’esquisse fait bouger le chef-d’œuvre. Vingt expériences, récentes ou prochaines, entrelacent leur réseau derrière l’évidence bien définie de l’image. Mais cette mobilité de la forme, cette aptitude à engendrer la diversité des figures, est plus remarquable encore si on l’envisage dans des limites plus resserrées. Les règles les plus rigoureuses, qui semblent faites pour dessécher la matière formelle et pour la réduire à une extrême monotonie, sont précisément celles qui mettent le mieux en lumière son inépuisable vitalité par la richesse des variations et l’étonnante fantaisie des métamorphoses. Qu’y a-t-il de plus éloigné de la vie, de ses flexions, de sa souplesse, que les combinaisons géométriques du décor musulman ? Elles sont engendrées par un raisonnement mathématique, établies sur des calculs, réductibles à des schémas d’une grande sécheresse. Mais dans ces cadres sévères, une sorte de fièvre presse et multiplie les figures ; un étrange génie de complication enchevêtre, replie, décompose et recompose leur labyrinthe. Leur immobilité même est chatoyante en métamorphoses, car, lisibles de plus d’une façon, selon les pleins, selon les vides, selon les axes verticaux ou diagonaux, chacune d’elles cache et révèle le secret et la réalité de plusieurs possibles. Un phénomène analogue se produit dans la sculpture romane, où la forme abstraite sert de tige et de support à une image chimérique de la vie animale et de la vie humaine, où le monstre, toujours enchaîné à une définition architecturale et ornementale, renaît sans cesse sous