Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

forme, connaître des aventures singulières. En écrivant ces lignes, nous n’oublions pas les justes critiques opposées par Michel Bréal à la théorie que formulait Arsène Darmesteter dans la Vie des mots. Cette végétation, apparemment et métaphoriquement indépendante, exprime certains aspects de la vie de l’intelligence, des aptitudes actives et passives de l’esprit humain, une merveilleuse ingéniosité dans la déformation et dans l’oubli. Mais il reste exact de dire qu’elle a ses dépérissements, ses proliférations, ses monstres. Un événement imprévu les provoque, un choc qui ébranle et met en jeu, avec une force extérieure et supérieure aux données de l’histoire, les plus étranges procédés de destruction, de déviation et d’invention. Si, de ces couches profondes et complexes de la vie du langage, nous passons aux régions supérieures où il acquiert une valeur esthétique, nous voyons se vérifier encore le principe formulé plus haut et dont nous aurons souvent à constater les effets dans le cours de nos études : le signe signifie, mais, devenu forme, il aspire à se signifier, il crée son nouveau sens, il se cherche un contenu, il lui donne une vie jeune par des associations, par des dislocations de moules verbaux. La lutte du génie puriste et du génie de l’impropriété, ce ferment novateur, est un épisode, violemment antinomique, de ce développement. On peut l’interpréter de deux manières : soit comme un effort vers la plus grande énergie sémantique, soit comme un double aspect de ce travail interne qui réalise des formes hors de la matière mouvante des sens.

Les formes plastiques présentent des particularités non moins remarquables. Nous sommes fondés à penser qu’elles constituent un ordre et que cet ordre est animé du mouvement de la vie. Elles sont soumises au principe des métamorphoses, qui les renouvelle perpétuellement, et au principe des styles qui, par une progression inégale, tend successivement à éprouver, à fixer et à défaire leurs rapports.

Construite par assises, taillée dans le marbre, coulée dans le