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que l’histoire du goût reflète avec fidélité des données sociologiques, à condition d’y faire intervenir des impondérables qui modifient tout, comme l’élément fantastique de la mode. Le goût peut qualifier les caractères secondaires de certaines œuvres, leur ton, leur air, leurs règles extérieures. Certaines œuvres qualifient le goût, le marquent profondément. Cet accord avec le moment ou plutôt cette création du moment est tantôt immédiate et spontanée, tantôt lente, sourde et difficile. On serait tenté de conclure que, dans le premier cas, l’œuvre promulgue tout à coup, avec empire, une actualité nécessaire, qui se cherchait encore à travers de faibles mouvements, tandis que, dans le second, elle atteint sa propre actualité, elle est, comme on dit, en avance, sur le moment du goût. Mais, dans l’un et l’autre cas, à l’instant où elle naît, elle est phénomène de rupture. Une expression courante nous le fait vivement sentir : « faire date », ce n’est pas intervenir passivement dans la chronologie, c’est brusquer le moment.

À la notion de moment il convient donc d’ajouter la notion d’événement, qui la corrige et qui la complète. Qu’est-ce que l’événement ? Nous venons de le dire : une brusquerie efficace. Cette brusquerie même peut être relative ou absolue, contact et contraste entre deux développements inégaux, ou mutation à l’intérieur de l’un d’entre eux. Une forme peut acquérir la qualité novatrice et révolutionnaire sans être événement par elle-même, et du simple fait qu’elle est transportée d’un milieu rapide dans un milieu lent, ou inversement. Mais elle peut aussi bien être événement formel sans être du même coup événement historique. Nous entrevoyons ainsi une sorte de structure mobile du temps, où interviennent divers ordres de rapports, selon la diversité des mouvements. Elle est analogue en son principe à cette construction de l’espace, de la matière et de l’esprit dont l’étude des formes nous a montré de nombreux exemples et, peut-être quelques règles très générales. Si l’œuvre d’art crée