Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/101

Cette page a été validée par deux contributeurs.

une étonnante série de succès chronologiques, comme la transposition dans l’espace de toute une gamme d’actualités profondes. Mais cette vue séduisante est superficielle. L’œuvre d’art est actuelle et elle est inactuelle. Race, milieu, moment ne sont pas par nature et constamment favorables à telle famille d’esprits. L’instant spirituel de notre vie ne coïncide pas nécessairement avec une urgence historique, et même il peut la contredire. L’état de la vie des formes ne se confond pas de plein droit avec l’état de la vie sociale. Le temps qui porte l’œuvre d’art ne la définit pas dans son principe ni dans la particularité de sa forme. Elle est même capable de glisser dans ses trois directions. L’artiste habite une contrée du temps qui n’est pas forcément l’histoire de son temps. Il peut, nous l’avons dit, être ardemment le contemporain de son âge et même, de cette attitude, se faire au programme. Il peut se choisir avec une même constance des exemples et des modèles dans le passé, s’y créer un milieu complet. Il peut se configurer un avenir qui heurte à la fois le présent et le passé. Une mutation brusque dans l’équilibre de ses valeurs ethniques peut le placer en opposition catégorique avec le milieu, avec le moment et faire naître en lui une nostalgie révolutionnaire. Alors il cherche le monde dont il a besoin. Certes il existe des génies tempérés, faciles, du moins apparemment, et portés par ce qu’un certain déterminisme appelle les circonstances heureuses. Ces grandes vies à surface plane cachent des conflits. L’histoire de la forme chez Raphaël, ce héros mythique du bonheur, révèle ses crises. Son temps lui offre les images les plus diverses et les contradictions les plus flagrantes. Il sollicite dans son âme, tour à tour, je ne sais quelle faiblesse, je ne sais quelle ductilité des instincts. Enfin, avec hardiesse, il insère dans son époque un temps, un milieu nouveaux.

Cette puissance particulière nous frappera beaucoup plus, si nous réfléchissons que le moment de l’œuvre d’art n’est pas forcément le moment du goût. Il nous est loisible d’admettre