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dans ce voisinage de tant de morts il semble que le calme du lieu soit la plus douce promesse d’anéantissement. Un asile comme celui-là perd toute étroite signification confessionnelle, il appartient à la communauté humaine, il est fait pour accueillir les pèlerinages des derniers sages et pour laisser mûrir dans leur cœur de souveraines leçons.

À ces incomparables harmonies de la nature et de l’histoire rien ne s’oppose plus fortement qu’un autre type de monastère bouddhique, — les lamaseries du Thibet. Sur le haut socle montagneux, plissé de vallées, le Bouddhisme est devenu religion de prêtres, et Bouddha lui-même, le Bouddha vivant, est devenu prêtre à son tour. Un panthéon d’une incroyable richesse, une théocratie pesante, un minutieux ritualisme se sont superposés à la philosophie indienne. Mais les retraites dans lesquelles s’est perpétuée cette pensée complexe ne manquent pas de grandeur. Solidement implantés dans le sol des hauteurs, dont ils continuent les profils et auquel leurs murailles se marient par des pentes talutées, les couvents thibétains sont des forteresses. Rehaussés de galons de couleurs violentes, coiffés de toits aux écailles d’or, ils conservent eux aussi, à l’intérieur de leurs sanctuaires mystérieux, illuminés, touffus, une note profonde de cette grande rêverie religieuse dont les peuples d’Asie sont les dépositaires et dont l’art bouddhique propage jusqu’à nous les plus anciens échos.