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l’Asie, continant parfois par la tendresse, par l’élévation, par la pitié au génie chrétien des grandes époques, cet art exprime, non par la copie des choses naturelles, mais en suggérant les rapports qui les unissent à l’être humain et à la vie de l’univers, une philosophie de la nature que l’art occidental n’a connue qu’au dix-neuvième siècle, et d’une manière imparfaite.

A travers tant de changements et malgré tant de voyages, on peut dire que l’art bouddhique reste fidèle aux principes dont il est sorti. Les notes graphiques des dessinateurs et des peintres, les vaporeux paysages de fleuves et de vallées, la bête qui bondit, l’eau qui court, l’herbe qui plie, la féerie de la neige, de la lune et des fleurs, les feuilles rougies de l’érable sur les rivières d’automne, tout prend corps et prend âme sous nos yeux avec le charme étincelant et rapide de la vie qui passe. Elle glisse, elle s’enfuit, elle n’est plus. Les insectes s’évadent du carnet de croquis. Les héros s’exterminent. Les danseuses et les courtisanes s’épanouissent comme des fleurs qui vont mourir. Cet univers bouge, s’efface et disparaît. Seule demeure, les yeux à demi-clos, le visage resplendissant de lumière intérieure, les mains abandonnées au creux du manteau, plus immobile, plus impénétrable et plus résistante qu’un rocher des montagnes, l’image du détachement souverain et de la suprême pitié.