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la troupe, entassée dans un chariot qui grince, rit à perdre haleine sans savoir pourquoi, et que l’on ne discerne plus ses voisins dans la nuit qui tombe, l’émotion des amants cachés, le chien qui aboie, l’enfant qui pleure, les paquets de vieilles lettres ou de poésies d’autrefois, relues par un soir de pluie, en automne, — toutes ces notations précieuses sont d’exactes et captivantes images de la vie humaine, réduites à quelques mots qui ne sont rien, mais dont les échos sont infinis. Oui, c’est un éminent don de vie, que de savoir mettre un tel sens dans une matière si peu chargée et, d’une haleine, de lui donner des ailes et un chant.

Voilà ce que nous voyons et ce que nous entendons d’abord. Mais une autre vertu de l’art japonais s’impose à notre étude, le don du style. Le style, ce n’est pas l’élégance toute pure, c’est quelque chose de plus, un sens supérieur de l’ordre, l’expression plastique de la noblesse intérieure, le rythme régulier d’une vie puissante et grave. Dans les arts du dessin, il se manifeste par une largeur pleine d’audace sereine et d’innocence ; dans l’art d’écrire, par une économie pleine de dignité, qui bannit le trop-plein des mots, les chatoiements aimables, les tours singuliers ou jolis ; dans la parure, c’est, si l’on veut, une alliance de la modestie et de la hauteur qui va plus loin et plus haut que le rare et que l’exquis. Le style, c’est le sceau des races supérieures et des grandes œuvres. Nous aimons à le reconnaître dans les manifestations