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encore qu’un paysage. Les potiers Song et, d’une manière générale, tous les potiers de terre en Extrême-Orient sont à la fois des peintres, des poètes, des musiciens. Sous la glaçure de l’émail, dans les pleurs onctueux des coulées, dans le grain rugueux de la terre crevée et calcinée par de feu[1], résident, fixées à jamais, quelques-unes de ces vertus stables et profondes des choses, que célébrait l’esthéticien Song, associées à la beauté fugitive des apparences, au charme de l’onde qui coule et du vent qui passe. Là encore, nous sommes au terme d’une conciliation. Gracieux et solides, brillants et durs, ces vases ont l’assiette et la fixité de ce qui ne saurait plus évoluer, et, en même temps, ils conservent en eux des notes, des nuances, des oscillations impondérablement passagères. Une tumultueuse vie s’y assoupit et s’y élargit dans le définitif du style. Ils sont matière et vie par la terre et par le feu, ils sont esprit, équilibre et repos par la puissante dignité des lignes. Plus précieux que l’or et que l’argent, aux mains des prêtres dans les solennités bouddhiques[2], aux mains des officiants dans les cérémonies du thé, ces vases ne sont ni des ustensiles vulgaires ni même des accessoires symboliques, mais bien les images de toute une conception du monde et de l’art.

  1. À ces hasards, souvent si heureux, les Chinois donnent le nom de yao-pien, ou « transformations de four ».
  2. Voir (Pl. XIX) le vase bouddhique, en porcelaine dite Jou-tcheou, de la collection Bushell, décoré de douze figures debout autour de la panse et, autour du col, de l’image de Çakya-Mouni entre deux assistants.