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naturaliste reprend le dessus. Les sages, par dédain du formalisme bureaucratique et de l’étiquette, apprennent un métier manuel ou se retirent dans les bois pour méditer et pour contempler. Les continuateurs de Lao-tseu fondent toute la vie morale sur la liberté, et, pendant l’époque dite des Trois Royaumes et celle des Six Dynasties (208-618), les poètes laissent chanter avec passion dans leurs œuvres la voix secrète des choses et les harmonies de la nature, « le chrysanthème ployé sous la rosée, la grâce délicate des bambous ondulants, la sérénité des pins verts murmurant au vent leur secrète douleur et le narcisse sacré cachant son âme altière dans les ravins profonds ou cherchant le printemps dans un rayon de soleil ». Depuis 420, les Tartares étaient maîtres des provinces du nord, et les princes de race pure avaient transporté leur cour dans le sud. La vallée du Yang-tseu conservait l’écho des chants de Khyu Yuen. Les paysages qui avaient inspiré les philosophes et les poètes devaient un jour inspirer les peintres : l’invention du papier et du pinceau, ce fait capital dans l’histoire des arts de l’Asie, plus important encore que la chimie des résines et des vernis propagée par les ateliers flamands du xve siècle, leur permettait de traduire des émotions plus subtiles, plus ondoyantes et plus suggestives que la terrible gravure linéaire des Han. L’exaltation de la calligraphie n’est pas un sec enthousiasme, une délectation de bureaucrate dilettante. La ligne a un sens, elle est dépositaire de vie, elle peut dégager un