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VIII
PIRANESI

l’activité pittoresque de la vie populaire arrête un moment les curieux cosmopolites. Ils retiennent des noms et des recettes d’ingéniosités épicuriennes, notent toutes sortes de plaisantes machines faites pour amuser l’esprit et les yeux, inconnues à la gravité des barbares. Ici et là, dans de vastes palais ruinés et magnifiques, au milieu du silence des petites villes, conversations latines chez de jolies savantes. Partout les cantatrices, les virtuoses, leurs chefs-d’œuvre éphémères, un peuple affolé d’opéra. Les statues et les tableaux des maîtres conservés dans les galeries écrasent l’émulation des modernes et en annulent d’avance les résultats. Nulle part, croirait-on, une tentative sérieuse, sincère et grande. L’art se confine à l’ingénieux, au plaisant, au bouffon, à l’étrange. Il semble que les enseignements de l’école ne puissent produire, chez une race exténuée, qui a donné toute sa fleur, que de froids pastiches, mal soutenus par le plus abstrait des éclectismes.

Cette idée, cette image de la plus séduisante des décadences, sa grâce, son parfum, nous les retrouvons fixés malgré nous dans nos mémoires. Les historiens immédiats du settecento nous laissent la même impression que les voyageurs. Ils divisent le siècle en deux grandes parties, séparées par une date, celle des premières découvertes importantes faites dans les ruines des villes du Vésuve. Ils ne sauraient omettre le rôle considérable de Piranesi dans cette espèce de renaissance, ils l’y associent étroitement au même titre que de nombreux archéologues italiens et étrangers, ses émules, mais son œuvre est à leurs yeux une conséquence du rinascimento déterminé tardivement par les études antiques. La résurrection d’Herculanum et de Pompéi entraîne le réveil de toute l’Italie : ils s’en tiennent à cette conception simple, commode et claire ; les nécessités de leur démonstration n’y perdent rien, bien au contraire : plus la décadence fut profonde pendant les deux premiers tiers du siècle, plus la renaissance des dernières années apparaîtra glorieuse, plus les raisons d’espérer seront solides et fondées.

À cet égard, certaines parties de la Storia della Scultura[1] du comte Léopold Cicognara sont particulièrement instructives. Quand il

  1. Storia della Scultura dal suo risorgimento fino al secolo di Canova, del conte Leopoldo Cicognara, per servire di continuazione all’opere di Winckelmann e di d’Agincourt,. VII, l. VII, ch. I.