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Ce caractère est le seul peut-être qui rassemble l’esprit et la naïveté, la finesse et la balourdise. Arlequin, toujours simple et bon, toujours facile à tromper, croit ce qu’on lui dit, fait ce que l’on veut, et vient se mettre de moitié dans les pièges qu’on veut lui tendre : rien ne l’étonné, tout l’embarrasse ; il n’a point de raison, il n’a que de la sensibilité ; il se fâche, s’apaise, s’afflige, se console dans le même instant : sa joie et sa douleur sont également plaisantes. Ce n’est pourtant rien moins qu’un bouffon ; ce n’est pas non plus un personnage sérieux : c’est un grand enfant ; il en a les grâces, la douceur, l’ingénuité ; et les enfants sont si aimables, si attrayants, que j’ai cru mon succès certain, si je pouvais donner à cet enfant toute la raison, tout l’esprit, toute la délicatesse d’un homme.

Delisle et Marivaux en avaient déjà tiré un grand parti. Le premier a fait de son Arlequin un philosophe de la nature, misanthrope gai, cynique décent, qui voit les objets comme ils sont, les montre comme il les voit, s’exprime avec énergie, et fait rire en raisonnant juste.

Marivaux, ce grand anatomiste du cœur humain, qui, pour avoir voulu tout dire, n’a pas toujours dit ce qu’il fallait, Marivaux a fait des Arlequins moins naturels, moins philosophes que ceux de Delisle, mais plus délicats, plus aimables, et qui, à force d’esprit, rencontrent quelquefois la naïveté.

Je n’ai voulu copier ni Marivaux ni Delisle. Cela ne m’aurait pas été facile : l’un avait plus de finesse, l’autre plus de profondeur que moi. J’ai voulu peindre un Arlequin bon, doux, ingénu, simple sans être bête, parlant purement, et exprimant avec naïveté les sentiments d’un cœur très-tendre. Une fois ce caractère établi, non d’après les auteurs qui s’en étaient servis avant moi, mais d’après mes idées particulières, j’ai cherché des intrigues qui pussent m’aider à le développer. J’étais presque sûr que mon héros était intéressant ; son masque et son habit le rendaient comique ; il ne fallait plus que trouver des situations attachantes, et je devais faire rire et pleurer. Il reste à savoir si j’y suis parvenu.

Lorsque j’osai risquer pour la première fois au théâtre l’Arlequin que je m’étais créé, il y avait plus de vingt ans que la comédie italienne avait abandonné les pièces de Marivaux et de Delisle, pour des canevas italiens que les acteurs remplissaient à leur gré. J’essayai de rappeler un genre oublié. Je fis représenter par des acteurs italiens une pièce