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critiques ; celle qui met sous les yeux du spectateur des personnages vertueux et persécutés, une situation attachante où la passion combat le devoir, où l’honneur triomphe de l’intérêt ; celle enfin qui sait nous instruire sans nous ennuyer, nous attendrir sans nous attrister, et qui fait couler ces douces larmes, le premier besoin d’une âme sensible.

La comédie d’intrigue, qui porte sur la même base que la comédie de sentiment, l’intérêt, emploie des moyens tout différents. Un vieillard amoureux, un rival ridicule ; des valets adroits, des dangers sans cesse renaissants, des ressources toujours imprévues, des méprises enfin, moyen le plus sûr de tous au théâtre : voilà par quels ressorts elle attache, égaye le spectateur, l’amuse assez pour l’intéresser, et le fait rire des malheurs qui peuvent lui arriver le lendemain.

La réunion des deux genres dont je viens de parler ferait sans doute un bon ouvrage : malheureusement cette réunion est extrêmement difficile. Presque toujours le comique nuit à l’intérêt, et l’intérêt exclut le comique. J’ai cru pourtant qu’il n’était pas impossible de les allier. J’ai pensé que le sentiment et la plaisanterie pouvaient tellement être unis, qu’ils— fussent quelquefois confondus, que le spectateur s’égayât et s’attendrit en même temps, qu’il fût également ému par l’intérêt de l’action et réjoui par le comique de l’acteur, en un mot, que le même personnage fit pleurer et rire à la fois. Pour cela j’avais besoin d’Arlequin [1].

  1. Ce personnage, qui paraît avoir été connu des anciens, a été l’objet des recherches de plusieurs auteurs. L’opinion la plus vraisemblable, c’est qu’il fut, dans son origine, un esclave africain. Son visage noir et sa tête rasée semblent l’indiquer. Quant à son habit de trois couleurs, ce que j’ai pu découvrir, sinon de plus authentique, au moins de plus agréable, le voici : Un pauvre petit nègre orphelin, abandonné près de Bergame, ne trouva d’amis et de protecteurs que dans trois enfants de son âge qui jouaient hors de la ville. Ils eurent pitié du malheureux étranger, commencèrent par lui donner leur pain ; et, le voyant presque nu, ils résolurent de l’habiller ; mais ils n’avaient point d’argent. Heureusement chacun d’eux était fils d’un marchand de drap. Sans s’être donné le mot, les trois petits bienfaiteurs volèrent le même jour, dans la boutique de leur père. Une demi-aune de drap pour vêtir leur jeune ami. Ces trois demi-aunes se trouvèrent de différentes couleurs. Malgré cet inconvénient, on se hâta de les coudre ensemble du mieux qu’on put. L’habit fut assez mal taillé ; mais il parut à tous fort joli. On voulut même donner une épée à celui qu’on trouvait si bien mis : un morceau de bois fit l’affaire. Alors on crut pouvoir présenter le petit étranger dans la ville. Arlequin s’y établit ; et la reconnaissance lui lit un devoir de porter toujours cet habit, qui lui rappelait un bienfait si aimable.