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LIVRE IV


Le Savant et le Fermier.


Que j’aime les héros dont je chante l’histoire !
Et qu’à m’occuper d’eux je trouve de douceurs !
J’ignore s’ils pourront m’acquérir de la gloire,
Mais je sais qu’ils font mon bonheur :
Avec les animaux je veux passer ma vie ;
Ils sont si bonne compagnie !
Je conviens cependant, et c’est avec douleur,
Que tous n’ont pas le même cœur.
Plusieurs que l’on connaît, sans qu’ici je les nomme,
De nos vices ont bonne part :
Mais je les trouve encor moins dangereux que l’homme ;
Et, fripon pour fripon, je préfère un renard.
C’est ainsi que pensait un sage,
Un bon fermier de mon pays.
Depuis quatre-vingts ans, de tout le voisinage
On venait écouter et suivre ses avis ;
Chaque mot qu’il disait était une sentence.
Son exemple surtout aidait son éloquence ;
Et, lorsqu’environné de ses quarante enfants,
Fils, petits-fils, brus, gendres, filles,
Il jugeait les procès ou réglait les familles,
Nul n’eût osé mentir devant ses cheveux blancs.
Je me souviens qu’un jour, dans son champêtre asile
Il vint un savant de la ville,
Qui dit au bon vieillard : Mon père, enseignez moi
Dans quel auteur, dans quel ouvrage
Vous apprîtes l’art d’être sage ;
Chez quelle nation, à la cour de quel roi,
Avez-vous été, comme Ulysse,
Prendre des leçons de justice ?
Suivez-vous de Zénon la rigoureuse loi ?
Avez-vous embrassé la secte d’Épicure,
Celle de Pythagore, ou du divin Platon ?
De tous ces messieurs-là je ne sais pas le nom,