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VIII
FLORIAN ET SON ŒUVRE

plus fin ; je trouvai en elle et en mon oncle toute la tendresse et le dévouement que peut renfermer le cœur humain. Comme témoignage de leur attachement ils m’instituèrent leur héritier d’une fortune suffisante pour assurer mon bien-être. Je n’avais pas besoin de ce bienfait pour les pleurer[1]. »

La bonne tante, propre nièce de Voltaire, séduite par la gentillesse et l’intelligence précoce de son neveu, l’emmena à Ferney, où elle allait passer l’été, et c’est ainsi qu’il fut présenté à Voltaire.

« Ce fut au mois de juillet que j’arrivai chez le premier homme de l’Europe ; il me combla de caresses ; je n’avais que dix ans. Je savais bien que Voltaire était supérieur par son génie au reste des hommes, mais j’étais peu en état de sentir cette supériorité ; le respect que j’avais pour lui était mêlé de beaucoup de crainte ; quinze jours suffirent pour la dissiper…

« Souvent il me faisait placer auprès de lui à table, et tandis que beaucoup de personnages qui se croyaient importants et qui venaient souper chez Lope de Vega (Lope c’est le nom que Florian donne partout à Voltaire dans le léger déguisement de ses Mémoires), pour soutenir cette importance, le regardaient et l’écoutaient, Lope se plaisait à causer avec un enfant. La première question qu’il me fit, fut si je savais beaucoup de choses. — « Oui, monsieur, lui dis-je, je sais l’Iliade et le Blason. » — Lope se mit à rire et me raconta la fable du Marchand, du Gentilhomme, du Pâtre et du Fils de Roi. Cette fable et la manière charmante dont elle me fut racontée me persuadèrent que le Blason n’était pas la plus utile des sciences et je résolus d’apprendre autre chose. »

L’auteur des Fables dut se ressouvenir de cette impression première et de la forme dans laquelle elle lui venait.

Ainsi Voltaire fut enchanté de la gentillesse, des grands yeux spirituels, des reparties vives, de la gaieté naturelle de l’enfant, et ce grand donneur de sobriquets le baptisa du premier coup Florianet, nom qui était tout un horoscope.

L’écolier nous a conté les mille espiègleries auxquelles il s’abandonna dans le jardin de Ferney, les pavots coupés sur lesquels tout plein de son Iliade il s’exerçait en Ajax furieux, croyant moissonner des héros Troyens avec son sabre de bois. Il n’oublia jamais les thèmes que Voltaire l’aidait à faire sous main, et qu’ensuite le père Adam, son précepteur bénévole, trouvait excellents. Celui-ci les montrait comme un chef-d’œuvre au grand philosophe, qui disait en souriant que ce n’était pas mal pour un enfant de cet âge.

Mlle Clairon était alors à Ferney ; on lui ménagea une surprise pour sa fête, de galants couplets que vinrent lui chanter un petit berger et sa bergère. Ce petit berger n’était autre que Florianet : « J’étais vêtu de blanc, et mon habit, mon chapeau et ma houlette étaient garnis de ruban rose. Une jeune fille, vêtue de même, soutenait avec moi une grande corbeille pleine de fleurs. »

Le petit Florian chanta avec sa bergère une chanson en dialogue composée par Voltaire en l’honneur de Mlle Clairon :


Je suis à peine à mon printemps
Et j’ai déjà des sentiments

Ne voilà-t-il pas, dès l’entrée, toute une vie qui se dessine ? Il a

  1. Florian, Mémoires.