la fillette, j’ai failli prendre une carpe, le fil de mon hameçon s’est cassé et je l’ai perdu !
— En voilà de rechange, répondit le jeune homme, qui se mit en devoir de réparer le désastre, mais, dites un peu, Suzanne, votre carpe, c’était un goujon ?
— Si l’on peut dire ! répliqua l’enfant, un poisson gros comme ça ! fit-elle montrant toute la longueur de son bras.
— C’était peut-être une anguille, dit Gisèle, riant ; je ne crois pas qu’il y ait de carpes, ici.
— Je vous demande pardon, reprit Suzanne, toute rouge de dépit d’avoir été contredite ; hier encore papa disait au jeune duc de Manien que les pièces d’eau de Bloicy étaient fort poissonneuses, qu’il y avait des carpes superbes ; et même le duc lui a répondu : « Vous n’avez rien à envier à Fontainebleau, alors. »
Gisèle et André échangèrent un sourire ; ils savaient que le comte aimait beaucoup à exalter le mérite de tout ce qui lui appartenait, à lui ou sa famille, et même, parfois, à l’exagérer, ce qui faisait un peu rire à ses dépens. Ils continuèrent à pêcher ; Suzanne, qui parlait et bougeait sans cesse, ne réussissait pas à attirer le moindre fretin. Découragée, elle s’en fut, de guerre lasse, s’asseoir auprès de Mme de Lacourselle et de son institutrice qui, à quelques pas de là, travaillaient sous les grands arbres.
Gisèle et André restèrent seuls sur le bord de l’eau.
— Savez-vous, dit le jeune officier, que je viens de me rendre coupable d’une grande et involontaire indiscrétion ?
— Comment cela ? Mot pour mot, il lui raconta ce qui s’était passé. Cela fit beaucoup rire Gisèle, de son joli rire clair et gai. L’idée de la faim et de la soif l’amusa particulièrement.
— Je sais que cela se dit, fit-elle gaiment, mais je ne me vois pas bien représentant la maigre faim, pâle, décharnée, aux longues dents jaunes.
Et elle découvrait dans son sourire, qui creusait des fossettes au milieu de ses joues pleines et fraîches, les perles de sa bouche rose.
