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RICHE OU AIMÉE ?

offrirait bien un morceau de pain ; je ne le donnerais pas pour ce prix-là. J’entends faire payer, en même temps que mon château, mes souvenirs et les regrets que j’aurais en m’en dessaisissant. Or, ces choses-là ne s’achètent pas, et personne ne voudra mettre la forte somme pour des tourelles en ruine et des murs dégradés, que la mer vient battre les jours de tempête. Aussi, je me drape aux yeux de la galerie dans ma sentimentalité, et je garde le patrimoine de mes aïeux, faute de mieux.

— Voilà de la franchise ! fit Mme de Vauteur ; sentiment d’un côté, impossibilité de l’autre, tout est d’accord. Comme cela, je vous comprends, je vous approuve même, ce que je n’eusse peut-être pas fait autrement. Votre regretté oncle, mon mari, disait que le sentiment n’est pas à la portée de toutes les bourses ; c’est dur, mais c’est vrai.

— Absolument ; et comme la mienne est de plus en plus plate, il n’y trouverait pas à se loger.

— Comment, de plus en plus plate ? Beau neveu, vous m’alarmez ! auriez-vous fait des folies ?

— Des folies ! C’est cela ma tante, qui, plus encore que le sentiment, n’est pas à la portée de ma bourse. Aussi, rassurez-vous, je n’en ai aucune sur la conscience ; je veux dire seulement que je n’ai pas fait d’économies.

— Oh ! des économies, ce serait beaucoup demander à votre âge !

— Et surtout avec un revenu aussi considérable !

— Ce revenu, au fond, qu’est-il donc, André ? Pardonnez-moi, j’ai beaucoup oublié, ce qui est de mon âge, à moi ; pécuniairement parlant, où en êtes-vous ?

— Toujours au même point, ma tante, ma solde et quinze cents francs de rente. — Je ne compte pas Rochedur, qui me coûte le peu qu’il me rapporte. Le concierge que j’y ai logé, et que je ne paie pas, — on trouve encore des domestiques à ce compte dans ce pays de Cocagne, — vit des légumes du jardin, des moissons qu’il récolte dans les pelouses défrichées du parc, il se chauffe