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ame forte, cette haute intelligence a dû, pour dominer, céder à la force brutale.

— Enfant, me dit l’ex-présidente en me serrant la main à me meurtrir, et avec une expression que je n’oublierai jamais, enfant, sache bien que c’est pour n’avoir pu soumettre mon indomptable fierté à la force brutale que tu me vois prisonnière ici ; chassée, exilée par ceux-mêmes auxquels, pendant trois ans, j’ai commandé…

En ce moment, je pénétrai sa pensée ; mon ame prit possession de la sienne ; je me sentis plus forte qu’elle, et je la dominai du regard… Elle s’en aperçut, devint pâle, ses lèvres se décolorèrent ; d’un mouvement brusque, elle jeta son cigare à la mer, et ses dents se serrèrent. Son expression eût fait tressaillir le plus hardi ; mais elle était sous mon charme, et je lisais distinctement tout ce qui se passait en elle ; à mon tour, lui prenant la main, qu’elle avait froide et baignée de sueur, je lui dis d’un ton grave :

— Dona Pencha, les jésuites ont dit : Qui veut la fin veut les moyens ; et les jésuites ont dominé les puissants de la terre…

Elle me regarda longtemps sans rien me répondre ; elle aussi cherchait à me pénétrer…