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ble, divulguerait sans pudeur à la barre d’un tribunal les fautes et crimes de leur père et de leur mère, aussi bien que ceux de leur frère, par l’appât d’un peu d’or. Quant à moi, je l’avoue, la seule pensée m’en fait mal. La légitimité de ma naissance étant contestée, c’était un motif pour moi de désirer ardemment d’être reconnue comme enfant légitime, afin de jeter un voile sur la faute de mon père, dont la mémoire reste entachée par l’état d’abandon dans lequel il a laissé son enfant ; mais étant entrée dans l’examen des moyens auxquels on devrait avoir recours pour faire repousser ma demande, je vous le répète, mon oncle, j’ai reculé épouvantée. En effet, vous devriez démontrer que votre frère était malhonnête homme et père criminel ; qu’il a eu l’infamie de tromper lâchement une jeune fille sans appui, que son malheur devait faire respecter sur la terre étrangère où elle s’était réfugiée, fuyant la hache révolutionnaire, et qu’abusant de l’amour, de l’inexpérience, il a couvert sa perfidie par la jonglerie d’un mariage clandestin ; vous devriez prouver encore que votre frère a délaissé l’enfant que Dieu lui avait donnée, l’a abandonnée à la misère, aux insultes, aux mépris d’une société barbare, et tandis qu’il vous recommandait sa fille par ses dernières paroles, vous devriez, calomniant sa mémoire, imputer à préméditation la faute de sa négligence. Oh ! dussé-je remporter devant la justice, j’y renonce. Je me sens le courage de supporter la pauvreté avec dignité comme je l’ai fait jusqu’à présent ; qu’à ce prix les mânes de mon père restent en repos.

« Vous m’avez invitée à continuer de vivre dans votre maison, j’y consens à la condition qu’on n’exigera pas de moi de la gaîté, qu’on aura pour mon malheur tout