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taureau, quel beau sujet d’enthousiasme ! J’étais révoltée de ce spectacle ; et, aussitôt après que le premier taureau eut été tué, je voulais m’en aller ; mais ces dames me dirent : « Il faut attendre : le beau jeu est toujours pour la fin ; les derniers taureaux qui sortent sont les plus méchants ; peut-être tueront-ils des chevaux, blesseront-ils des hommes. » Et ces dames appuyèrent sur le mot homme comme pour me dire : « Alors ce serait plein d’intérêt… » Nous fûmes très favorisées : le troisième taureau éventra un cheval et faillit tuer le tauréador qui le montait ; les coupeurs de jarrets, dans leur effroi, lui abattirent les quatre jambes, et l’animal, haletant de fureur, tomba baigné dans son sang ; le cheval, de son côté, avait les boyaux hors du ventre ; à cette vue, je sortis précipitamment, sentant que j’allais me trouver mal. M. Smith était pâle et ne put que me dire : « Ce spectacle est inhumain et dégoûtant. »

Appuyée sur son bras, je marchai quelque temps sur la promenade qui borde la rivière ; l’air pur me ranima ; mais le lieu d’où je sortais m’attristait encore : cet attrait qu’offre à tout un peuple le spectacle de la douleur me paraissait l’indice du dernier degré de corrup-