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obligé à vivre encore pendant dix ans séparé de sa femme.

— Oui, il le doit pour remplir sa promesse ; mais, ce temps écoulé, il sera amiral, arrivera à la Chambre des lords, au ministère peut-être ; enfin sera un des premiers de l’État. Il me semble, mademoiselle, que, pour parvenir à une aussi belle position, on peut bien souffrir durant quelques années.

Ah ! pensai-je, les hommes, pour ces maudits hochets de grandeur, foulent aux pieds ce qu’il y a de plus sacré ! Dieu lui-même s’est complu à doter ces deux êtres : beauté, esprit, richesse, tout leur a été donné, et l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre devait leur assurer un bonheur aussi grand que notre nature est capable d’en jouir. Le bonheur aspire à se communiquer ; autour de lui, tout se ressent de sa douce influence ; et, heureux, ces deux êtres auraient pu faire du bien à leurs semblables ; mais voilà que l’orgueil d’un vieillard imbécille détruit cet avenir de félicité terrestre ; il veut que vingt années de la plus belle période de l’existence soient retranchées de la vie de ses enfants ; que ces vingt années soient consacrées à la tristesse, à la douleur, aux tourments de toute nature