Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.

foi, je n’aurais guère mis au-dessus des autres animaux de la création la créature humaine qui aurait pu vivre sans un de ces grands amours purs, dévoués, éternels. J’aimais mon pays, je désirais pouvoir faire du bien à mes semblables, j’admirais les merveilles de la nature, mais rien de tout cela ne remplissait mon âme. La seule affection qui aurait pu alors me rendre heureuse eût été un amour passionné et exclusif pour un de ces hommes auxquels de grands dévouements attirent de grandes infortunes, qui souffrent d’un de ces malheurs qui grandissent et ennoblissent la victime qu’ils frappent.

J’avais aimé deux fois : la première, j’étais encore enfant. Le jeune homme pour qui j’éprouvais ce sentiment le méritait sous tous les rapports ; mais, privé de l’énergie de l’âme, il mourut plutôt que de désobéir à son père qui, dans la cruauté de son orgueil, m’avait repoussée. La seconde fois, le jeune homme qui avait été l’objet de mon entière affection, bien qu’irréprochable dans tout ce qui a trait à la délicatesse et à l’honneur de ses procédés avec moi, était un de ces êtres froids, calculateurs, aux yeux desquels une grande passion a l’apparence de la folie : il eut peur de mon amour, il crai-