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montraient que par exception. La profonde solitude dans laquelle je m’étais retirée m’avait laissé ignorer le monde et tout ce qui s’y passait. Je m’étais repliée sur moi-même et ne pouvais soupçonner dans autrui l’existence de vices dont je ne découvrais en moi aucune trace, ou qui soulevaient d’indignation la générosité de mon cœur.

O précieuse ignorance qui fait croire à la bonne foi et à la bienveillance ! pourquoi t’ai-je perdue ? ou pourquoi la société est-elle si peu avancée encore, qu’il faille remplacer la franchise par la défiance, l’abandon par la retenue ? Oh ! que le cœur est blessé par ce cruel désenchantement ! Sous l’empire de la violence, les âmes aimantes se retiraient dans la Thébaïde : c’est encore au désert qu’elles devront habiter tant que la ruse et le mensonge gouverneront la société ; c’est dans la solitude que les ames pénétrées de l’esprit de Dieu reçoivent ces inspirations qui préparent le monde au règne de la vérité.

En 1833, l’amour était pour moi une religion ; depuis l’âge de quatorze ans, mon âme ardente l’avait déifié. Je considérais l’amour comme le souffle de Dieu, sa pensée vivifiante, celle qui produit le grand et le beau. Lui seul avait ma