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vert russe avec beaucoup de brandebourgs ; il était sans gilet et avait un madras à petits carreaux, noué négligemment autour du cou ; sur la tête, une petite toque en velours violet ne lui couvrait que l’oreille gauche. Il se tenait debout au milieu du canot, me saluant du geste et riant aux éclats, probablement de la tournure grotesque des personnages du port de la Praya. En 1833, j’étais encore bien loin d’avoir les idées qui, depuis, se sont développées dans mon esprit. À cette époque, j’étais très exclusive : mon pays occupait plus de place dans ma pensée que tout le reste du monde ; c’était avec les opinions et les usages de ma patrie que je jugeais des opinions et des usages des autres contrées. Le nom de la France et tout ce qui s’y rattachait produisaient sur moi des effets presque magiques. Alors je considérais un Anglais, un Allemand, un Italien comme autant d’étrangers : je ne voyais pas que tous les hommes sont frères et que le monde est leur commune patrie. J’étais donc bien loin encore de reconnaître la solidarité des nations entre elles, d’où résulte que le corps humanitaire en entier ressent le bien et le mal de chacune d’elles. Mais je retrace mes impressions telles que je les ai éprou-