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Vers la hauteur des Canaries, ces messieurs s’aperçurent que le navire faisait eau, et ils se décidèrent à relâcher au premier port, afin de le faire calfater.

Il n’y avait que vingt-cinq jours que nous étions en mer ; ce temps m’avait paru si long, la vie de bord m’était tellement à charge que, lorsqu’on m’annonça la vue prochaine de la terre, la joie, le contentement que j’en ressentis firent de suite évanouir mon mal : je revins à la santé. Il faut avoir été à la mer pour connaître la puissance d’émotion renfermée dans ce mot : terre ! terre ! Non, l’Arabe dans le désert n’éprouve pas une joie plus vive à la vue de la source où il doit assouvir sa soif ardente ; le prisonnier qui, après une longue détention, recouvre sa liberté ressent moins d’allégresse. Terre ! terre ! Ce mot, après de longs mois passés entre le ciel et l’abîme, renferme tout pour le navigateur : c’est la vie entière dans ses jouissances, c’est la patrie ; car alors les préjugés nationaux se taisent, et il ne sent que le lien qui l’unit à l’humanité ; ce sont les joies sociales, les doux ombrages et les prés émaillés, l’amour et la liberté ; enfin ce mot terre fait renaître en lui le sentiment de la sécurité qui, après