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parlait à tout son équipage et à ses passagers plutôt comme ami que comme maître après Dieu. Dans la tempête, c’était le premier matelot du navire, et habituellement un homme dont la bonté s’intéressait au bien-être de toutes les personnes de son bord : il nous invita amicalement à nous lever, afin de changer de linge ; de monter prendre l’air, et surtout de manger un peu de soupe chaude. Quant à moi, j’y consentis, à la condition qu’on me dispenserait de rien manger. Ces messieurs eurent la complaisance de m’arranger un lit sur la dunette. Il me fallut tout mon courage pour pouvoir me lever et m’habiller, et, sans l’aide de ces messieurs, il m’eût été impossible de monter sur le pont.

Les quinze premiers jours de mon séjour à bord furent pour moi un long engourdissement, durant lequel je n’eus, que par de très courts intervalles, la conscience de mon être. Depuis le lever du soleil jusqu’à six heures du soir, j’étais si souffrante, qu’il m’était impossible de rassembler deux idées. J’étais indifférente à tout ; je souhaitais seulement qu’une prompte mort vînt mettre un terme à mes maux ; mais une voix intérieure me disait que je ne mourrais pas.