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blées, venues pour dire adieu à leurs amis, ou qui se rendaient gaîment dans les campagnes environnantes, augmenta mon émotion. Le moment fatal était arrivé : mon cœur battait si fort, que je doutai un instant de pouvoir me soutenir. Dieu seul peut apprécier la force qu’il me fallut appeler à mon aide, afin de résister à l’impétueux désir qui me poussait à dire à M. Bertera : « Au nom du ciel, sauvez-moi ! Oh ! par pitié, emmenez-moi d’ici ! » Dix fois, pendant ce moment d’attente, je fis un mouvement pour prendre M. Bertera par la main, en lui adressant cette prière ; mais la présence de tout ce monde me rappelait comme un spectre horrible la société qui m’avait rejetée de son sein. À ce souvenir, ma langue resta glacée, une sueur froide me couvrit le corps, et usant du peu de forces qui me restaient, je demandai à Dieu, avec ferveur, la mort, la mort, comme le seul remède à mes maux.

Le signal du départ fut donné : les personnes qui étaient venues accompagner leurs amis se retirèrent. Le bateau fit un mouvement et s’éloigna : je restai seule dans la chambre où j’étais descendue ; tous les passagers se tenaient sur le pont, faisant à leurs connaissances les der-