Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pardonne ! et que ceux qui régissent notre pays frémissent ! je me serais tuée….. Je vois, à cet aveu, le sourire d’indifférence de l’égoïsme qui ne sent pas, dans son ineptie, la corrélation existante entre tous les individus d’une même agrégation ; comme si la santé du corps social, dont plusieurs membres sont portés au suicide par le désespoir, n’offrait aucun sujet d’appréhension. J’avais écrit, en 1829, à ma famille du Pérou, dans le dessein à demi formé d’aller me réfugier auprès d’elle, et la réponse que j’en reçus m’aurait engagée à réaliser immédiatement ce projet, si je n’en avais été empêchée par la réflexion désespérante qu’eux aussi allaient repousser une esclave fugitive, parce que, quelque méprisable que fût l’être dont elle portait le joug, son devoir était de mourir à la peine, plutôt que de briser des fers rivés par la loi.

Les persécutions de M. Chazal m’avaient, à plusieurs reprises, contrainte de fuir de Paris : lorsque mon fils eut atteint sa huitième année, il insista pour l’avoir, et m’offrit le repos à cette condition. Lasse d’une lutte aussi prolongée et n’y pouvant plus tenir, je consentis à lui remettre mon fils en versant des larmes sur l’avenir de cet enfant ; mais quelques mois s’étaient à peine écoulés depuis cet arrangement, que cet homme recommença à me tourmenter, et voulut aussi m’enlever ma fille, parce qu’il s’était aperçu que j’étais heureuse de l’avoir auprès de moi. Dans cette circonstance, je fus encore obligée de m’éloigner de Paris : ce fut pour la sixième fois que, pour me soustraire à des poursuites incessantes, je quittai la seule ville au monde qui m’ait jamais plu. Pendant plus de six mois, cachée sous un nom supposé, je fus errante avec ma pauvre petite fille. À cette époque, la duchesse