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— Chère demoiselle, ne rougissez pas ainsi en me regardant avec vos grands yeux pleins de courroux et de dédain. Je vous le répète, je vous aime comme si vous étiez ma sœur, et, dussé-je vous faire de la peine, j’aurai le courage de vous éclairer. Sachez donc, enfant que vous êtes encore, que le mot amitié, qui se rencontre dans tous les livres, dans toutes les bouches, désigne un sentiment idéal qui n’a jamais existé parmi les hommes. Pas un d’eux n’y croit, parce qu’aucun d’eux ne l’a ressenti, et que nul n’en a reconnu l’existence dans autrui. Les femmes ont, entre elles, trop de motifs de rivalité pour pouvoir s’aimer d’une manière désintéressée ; leurs rapports avec l’autre sexe, lorsqu’ils n’ont pas l’amour pour base, sont fondés sur l’intérêt et, au total, leurs affections sont transitoires comme les causes qui les ont fait naître. Quant aux hommes, ils n’ont jamais d’amitié pour les femmes, et ne les aiment que par amour, s’ils ne s’attachent à elles par intérêt ; entre eux, ils se recherchent ou se quittent selon que l’intérêt du moment les détermine, et l’amitié, telle que les poètes et les philosophes nous la désignent est un piège tendu à la