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sentir la beauté sublime du dévouement, dédaigne l’amour qu’il a inspiré, est pire que le perfide. Oui, l’être qui craignant d’être trop aimé, voit souffrir avec la plus sèche indifférence celle qui l’aime est pire que le perfide. Ce dernier, monsieur Chabrié, a toujours l’amour pour mobile ; l’autre, mu par le dégoûtant égoïsme, réfléchit toutes ses affections sur lui-même.

En prononçant ces mots, échappés presqu’à mon insu, j’avais oublié la réserve que, jusqu’alors, j’avais scrupuleusement observée ; tous mes traits, l’accent de ma voix devaient exprimer une douleur surhumaine ; celle dont le souvenir animait mes paroles avait été, comme l’amour qui l’avait causée, un sentiment inconnu sur la terre. M. Chabrié fut frappé de mon expression et me dit, en me regardant avec anxiété :

— Grand Dieu ! auriez-vous aimé un homme d’une nature aussi atroce ? Ah ! dites, dites-moi si une semblable douleur pèserait sur vous ?

Je ne pouvais parler : je lui fis un signe de tête qui disait oui. Je regardai le ciel comme pour implorer son secours ; puis, tendant la