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LES ANARCHISTES ANONYMES

une bouteille de Xérès et une demi-bouteille de Tokay. Puis, le quart d’heure de Rabelais sonnant, il dit au patron :

— J’ai fait un excellent déjeuner et je n’ai pas un sou pour le payer… Faites-moi arrêter si vous voulez, mais je vous préviens que je suis anarchiste et que vous vous exposez à la vengeance de mes compagnons… Choisissez !

Le patron n’eut pas une seconde d’hésitation : il pria l’anarchiste de lui permettre de trinquer avec lui. On demanda du champagne, et quand l’anarchiste se retira il put donner aux promeneurs de la rue Royale le spectacle d’un de ces immondes bourgeois, repus et enivrés de sueurs populaires, vautrés dans l’orgie, ne craignant pas d’exhiber leur soulographie aux regards du sobre travailleur, comme des ilotes !

Le lendemain un reporter indiscret raconta l’incident, de sorte que la police se précipita chez le restaurateur pour l’inviter à porter plainte et à lui donner le signalement de cet intrépide vide-bouteilles. Il protesta avec la dernière énergie :

— Déposer une plainte ? Donner un signalement ?… Ah ! non, par exemple ! Je n’ai pas envie d’être dynamité demain matin avec ma femme et mes enfants !

Il fut impossible de lui arracher la moindre indication. Dans son effarement, il ne craignait point de prendre la défense de son client : un charmant garçon, très poli, très bien élevé, et pas fier !