Page:Flor O’Squarr - Les Coulisses de l’anarchie.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
LES COULISSES DE L’ANARCHIE

blique, disparaissaient comme par enchantement. Ils disparaissaient tellement vite que les compagnons, les vrais anarchistes auxquels il était destiné, ne parvenaient pas à s’en procurer un numéro.

On surveilla les vendeurs dans la rue, et l’on acquit la preuve que l’édition presque toute entière était enlevée par les patrons. Et le phénomène aussitôt s’expliqua.

Chaque numéro contenait un éreintement impitoyable d’un établissement, d’un atelier de menuiserie, d’un « bagne du prolétariat ». Cet article, rédigé dans la forme particulière au Père Peinard et au Père Duchène, avait le principe de plaire infiniment à tous les patrons qu’il ne visait point. Toutes les semaines, un « exploiteur » exultait de colère, de rage impuissante, en lisant le petit canard si galamment troussé par les ouvriers du meuble ; mais les autres « exploiteurs » s’esclaffaient, achetaient les exemplaires par douzaines pour les répandre autour d’eux parmi les amis et connaissances, voire pour les expédier aux fournisseurs de leur concurrent persécuté. Le dimanche suivant c’était à la victime de l’autre semaine de rire à son tour, et de bien bon cœur, en savourant les menaces et les outrages adressés à son voisin. Chacun son tour.

L’opération se prolongea jusqu’à extinction de patrons. Longtemps les ébénistes anarchistes s’étaient divertis de ces braves bourgeois qui remplissaient leur caisse, prenaient la peine de répandre leur journal, s’occupaient activement d’une propa-