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mon sillon.

chaise, mais continua de suivre de l’œil les personnes qui avaient attiré son attention. La vue de ces deux promeneurs, on le voyait, changeait le cours de ses pensées. Charles Després était là et une expression nouvelle se peignit sur le visage de la jeune fille, mais sans le désassombrir. De sa mémoire, engourdie en quelque sorte pendant ces heures funèbres, avait jailli un souvenir, celui des paroles prononcées par son tuteur la veille de sa mort. Ce qu’elle avait éprouvé de surprise, de saisissement, n’est pas facile à dire. L’affection que lui portait M. Doublet ne se montrait pas tous les jours ; d’épanchements il n’en avait jamais été question entre eux. Il la traitait toujours en enfant et pour elle ne dérobait pas une heure aux affaires qui l’absorbaient. Un lien puissant et invisible forgé par le dévouement, la reconnaissance et l’habitude, avait uni ces deux cœurs et il y avait eu déchirement quand la mort l’avait brisé ; mais entre ce cerveau d’homme de loi tout plein d’articles du code, de formules judiciaires, de papier timbré et ce cerveau de jeune fille où éclosaient naturellement les fraîches pensées, il n’existait aucun moyen de communication.