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mon sillon.

nous perdons pas dans nos propres souvenirs et revenons au journal. L’enfant a fait place à la femme, l’aurore et le bonheur ont fui à tire d’ailes. Écoute ces accents désolés :

« L’heure sonne pour moi, l’heure fatale ; le poids douloureux de la vie tombe comme un manteau de plomb sur mes épaules et s’y attache. Les êtres qui m’étaient chers se sont fanés sous mes yeux, dans leur fleur, la terre les a impitoyablement engloutis.

La main brutale de la Mort m’a dépouillée en un jour de mes tendresses les plus pures, de mes illusions les plus profondes. Dans cette phase sérieuse de la vie qui est la phase de la moisson, je me suis trouvée devant un champ nu, dévasté ; j’ai vu tomber pièce à pièce, comme démoli par un bras invisible, le fragile édifice que j’avais baptisé du nom de bonheur, et, devant ces décombres, ces ruines, j’ai senti, misère suprême, l’ennui de la vie me prendre à la gorge. Mon œil s’est promené éperdu sur un monde désormais vide, tout s’est teint de néant autour de moi, les larmes ont affaibli ma force, aucune main délicate, compatissante ne ressaisissait encore mon âme blessée, le ciel même s’est voilé de deuil